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Édito : Souvenirs de la France paysanne
12 Septembre 2013
Hier, je parcourais les allées du SPACE (Salon professionnel des Productions Animales - Carrefour Européen) de Rennes.
C'était l'occasion de prendre le poux de ce secteur d'activité majeur dans l'économie Bretonne mais aussi de constater le décalage croissant entre l'agriculture industrialisée de géants mondiaux et l'agriculture dans un souci de souveraineté alimentaire, de transmission de valeurs, de traditions, de patrimoine; une agriculture qui s'inscrit dans une logique d'écologie humaine et de développement durable.
A Rennes, les industriels sont venus se rencontrer et présenter leurs dernières nouveautés.
Toujours plus de matériel sophistiqué, pour toujours plus de productivité, toujours plus de normes et surtout toujours plus de paysans qui s'endettent pour tenter de rester dans un train qui les laissera bientôt "sur la paille". Quelque uns s'en sortiront bien, feront même d'important bénéfices. Quelques uns, mais combien dans un système qui est inéquitable ?
C'est la transformation d'un capitalisme industriel en un capitalisme financier qui joue au Monopoly avec des ressources naturelles mais aussi des hommes et des femmes.
Les destructions d'emplois agricoles sont toujours plus nombreuses. Ceux qui tiennent s'endettent à des conditions intenables, plus de 75% des exploitants agricoles vivent avec le couperet d'une hypothèque qui peut tomber du jour au lendemain sur la tête. Le métier d'agriculteur est celui, en France, qui compte le plus de suicidés.
Je ne vous parle pas des fins de mois difficiles, des doutes, des larmes (mais aussi parfois des rires car il y a toujours de l'espoir de lendemains meilleurs) des ces gens pour qui, vivre de la Terre et des bêtes, est autant un sacerdoce qu'une grande passion. Combien d'entre eux verront tôt ou tard leur exploitation vendue ou rachetée pour en former d'autres plus grosses à des fins industrielles ou faute d'avoir trouver un successeur ?
La France, par l'ouverture des frontières et les directives des technocrates-lobbyistes de l'Union Européenne, perd chaque jour un peu plus son autonomie alimentaire en faisant importer des productions de pays aux standards sociaux, économiques, sanitaires et financiers inférieurs aux nôtres. C'est une concurrence déloyale qui appauvrit les émetteurs et les récepteurs aux bouts de la chaîne mais engraisse quelques intermédiaires.
Je ne vous parle pas du gaspillage dans nos pays occidentalisés quand nous jetons des produits pas bien "calibrés" ou dont l'apparence est "déformée" / "esquintée". Avons nous le luxe de vivre comme des enfants gâtés ? Certains semblent oublier qu'il y a quelques décennies, sans ces produits, des familles seraient mortes de faim autour d'eux.
Tristesse de voir que 30% des enfants Français ne sachent pas identifier un poireaux, ou que l’immense majorité d'entre eux pensent que le "nugget" est une partie du poulet alors que c'est du poulet reconstitué.
C'est aussi un coût pour la collectivité puisque le taux d'obésité chez les plus jeunes grimpe à une allure vertigineuse, gavés qu'ils sont de malbouffe alors qu'une cuisine fait maison est généralement aussi diététique qu'elle est savoureuse et économique.
Certes ça prend du temps d'éplucher des légumes et surveiller leur cuisson mais pas besoin d'être un "Top Chef" pour faire une bonne soupe ou un délicieux bœuf au jus.
Voila une conséquence de plus de la destruction de la ruralité au profit de vies citadines qui ont déraciné tant d'Hommes et les ont arraché à leur Terre.
Le monde agricole est aussi dur qu'il est généreux. C'est un milieux qui me ramène à mes propres racines, aux souvenirs de mon enfance, d'un temps qui n'est plus, rattrapé par la folie "progressiste" et "libérale-libertaire".
Descendant de paysans Bas-Léonards (référence à l'ancien évêché du Léon; le Bas Léon est un territoire localisé dans la pointe Nord du Finistère incluant la ville de Brest), mon union avec la fille d'éleveurs laitiers n'est sans doute pas le fruit du hasard. Nous partageons la même conception de la vie, du rapport à la Terre.
Nous sommes peut être les derniers représentants d'un monde qui s’éteint à petit feu voila pourquoi nous avons une obligation de transmission, de cette histoire, notre histoire, à notre environnement immédiat mais aussi et surtout aux générations futures.
C'est notre héritage, votre héritage à vous aussi chers amis, chers lecteurs, car l'histoire de votre famille prend ses source dans cet univers pour une immense partie d'entre vous [NB : pour ceux qui auraient des doutes, je vous invite à étudier votre généalogie].
Le matérialisme n'est que peu de choses comparé à notre richesse intérieure.
Il est encore possible de sauver les meubles mais plus nous tarderons à réagir et rétablir une société plus "juste", plus l’addition pour les Hommes et notre planète sera lourde.
Nous vivons à crédit et si la banqueroute venait à arriver nous n'aurions plus que nos yeux pour pleurer et le poids de la culpabilité à porter pour ne pas avoir écouter ces quelques individus qui nous avaient avertis des conséquences de nos actes.
...
Souvenirs de la France Paysanne.
NB : Je vous propose ci-dessous deux extraits du recueil "Souvenirs de la France Paysanne", composé de photographies de Jean-Marc Berranger et de textes de Pierre Vignaud, que j'ai eu plaisir à parcourir il y a quelques jours et que j'ai autant de plaisir à partager, avec vous, via cet édito, pour un hommage à ces hommes et ces femmes qui méritent respect et admiration.
"Les temps de labour constituaient les heures les plus éreintantes et aussi les plus exaltantes des travaux. Il fallait voir... quand le cheval et l'homme s'efforçaient pareillement. Quand la terre retournée luisait en mottes de glèbe. Quand les sillons s'alignaient lentement, si droits, si réguliers. Quand les oiseaux s'aventuraient jusque dans les pas de l'homme pour picorer les insectes que le soc délogeait de leur refuge...
Il ne convient pas de penser à ces scènes avec nostalgie. C'était pour le paysan un des travaux les plus porteurs d'espérance, de promesse, Derrière la croupe fumante, le laboureur ne parlait pas à son cheval, il parlait avec lui. La bête lui répondait d'un coup de collier, d'un mouvement de tête, d'un écart à la hue ou à la dia. L'un et l'autre vivaient cette connivence. Leur échine ployait au même effort quand la terre leur résistait. Leurs membres se raidissaient dans une tension commune pour entamer un nouveau sillon. Ils reprenaient leur souffle ensemble, en haut du champ, à l'heure de la pause. L'un et l'autre éprouvaient la même fierté du travail accompli quand, le soir, le champ n'était plus qu'un réseau régulier qui invitait déjà aux semailles, à l'avenir. Puis le tracteur trouva sa place sous les hauts toits des hangars, à côté des semoirs, des épandeurs, de tout cet inventaire de machines modernes qui bousculaient le travail paysan. Mais, dans un village que mon père visitait chaque semaine, un homme persistait à être chaque année ce laboureur aux mains épaisses accrochées aux mancherons de la charrue, derrière un percheron musculeux. Certains y voyaient une sorte de provocation d'un vieil original, comme on disait alors des gens qui aimaient défier le cours des choses. Je veux croire que ce paysan voulait vivre la grandeur simple de son travail, profiter tant qu'il vivrait de cette couleur et de cette odeur de la terre labourée qui le nourrissait. Simplement repousser les limites d'un temps révolu où pourtant il se sentait heureux. Continuer à vivre la terre à hauteur d'homme. Tracer, jusqu'au bout de ses forces, le sillon rectiligne de son destin."
"Au-dessus de la table, recouverte d'une toile cirée à carreaux Vichy bleu et blanc, à côté du calendrier des Postes, était accroché un tableau, cadeau de leur petit neveu. Une gouache naïve, d'environ 30 cm sur 25, représentant un couple de vieux attablés, face à face, à l'heure du repas. On croyait les reconnaître, elle, forte et douce, lui râblé, portant une moustache blanche plus large que son visage. On croyait entendre les bruits de succion quand ils portaient leur cuillerée de soupe à la bouche. Et lui qui jurait en souriant : "Bon dieu, qu'elle est chaude !"
Ils vivaient dans cette petite maison leur retraite de paysans. Une lumière douce pénétrait par la porte-fenêtre entrouverte. Après le seuil de pierre polie, commençait le jardin : parterres de fleurs, plates-bandes de légumes, arbres fruitiers. Tout au fond, des clapiers, une courette où se morfondaient des poules et des canards. Au-delà du grillage, s'étirait un pré ou ruminaient des vaches indolentes. Il y avait deux vieux fauteuils de bois blanc sous l'arbre le plus feuillu. Un instant, j'avais imaginé le couple, assis par un après-midi d'été, endormi dans l'air bourdonnant d'insectes. On aurait dit qu'ils étaient là depuis des siècles. Comme sur le tableau. Ils ne mangeaient plus sur le pouce, comme si souvent dans leur jeunesse. Ils donnaient enfin du temps à leur existence, sans-à-coups, de peur qu'elle ne s'enfuie trop vite. Ils oubliaient l'époque où leur vie de travailleurs s'écrivait dans la paume endurcie de leurs mains. Ils ne convoquaient plus le passé. Simplement, ils le prolongeaient. Les êtres et les choses avaient le même air familier, le même bonheur humble. En les observant, je me demandais : "Combien de temps ce monde va-t-il survivre ?"
Dans la tiédeur de l'été indien, le potager était encore vert. Sur les parterres, les fleurs éclataient leurs couleurs. Le soleil déclinait au-dessus de la prairie et sa lumière commençait à s'effilocher en bandes roses. Tout en étirant sa moustache de droite et de gauche, le vieil homme dit : "Ah ! les hirondelles ont quitté leurs nids, là, sous le hangar !" Il gardait le regard fixé sur l'horizon, comme s'il craignait de ne plus les voir revenir."
Souvenirs de la France Paysanne
Jean-Marc De Berranger est né en 1946 au Chesnay dans les Yvelines. En se mariant avec une poitevine en 1973, il s'est installé dans la Vienne comme photographe à Vouillé, puis a parcouru tout ...
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Aujourd'hui les revenus des agriculteurs français sont en chute libre.
Beaucoup d'entre eux, éleveurs, producteurs de lait ou de fruits et légumes, se trouvent dans une situation désespérée : endettés, parvenant à peine à se rémunérer.
Ceux qui ne renoncent pas travaillent avec le sentiment d'avoir été grugés. Pendant des années, on leur a demandé d'investir, de respecter un cahier des charges de plus en plus contraignant. Ils l'ont fait. Et ils se retrouvent assommés sous les contraintes, la paperasserie, les contrôles, étranglés par la grande distribution. De véritables soutiers.
Leur rôle était, pensait-il, de nourrir la France, d'assurer son rayonnement à l'étranger, par des produits de qualité, prestigieux et enviés partout dans le monde.
Pendant des décennies, la France a respecté le pacte conclu envers ses paysans : produisez, soyez performants, assurez notre richesse et nos exportations, et en retour, nous vous soutiendrons, nous vous protégerons. Car nous avons besoin de vous.
Et voilà qu'après avoir été les sauveurs de la nation, les paysans se voient aujourd'hui accusés d'en être les fossoyeurs : vous coûtez trop cher, vous polluez, vous nous empoisonnez avec vos produits industriels et votre agriculture productiviste, vous saccagez la nature, vous empoisonnez les eaux, tel est le discours ambiant à leur sujet.
On les regarde avec défiance. Plus grave encore, il semble que leur mort sociale soit programmée : seuls resteront les plus habiles et les plus performants. Pourtant, et il est urgent d'en prendre conscience rapidement, surtout après l'échec de Copenhague, le monde agricole est le garant d'un véritable développement durable.
D'abord, et c'est le plus évident, parce qu'il produit la nourriture que nous consommons, une nourriture à la fois plus diversifiée et plus saine que jamais.
On oublie trop souvent la monotonie des régimes alimentaires passés, le nombre de maladies liées à l'alimentation. Si l'espérance de vie des Français et leur taille se sont tant accrues en cinquante ans, ce n'est pas seulement grâce à l'hygiène et à la médecine : c'est d'abord par la qualité de leurs produits alimentaires.
A l'heure où il faudra doubler la production alimentaire mondiale d'ici un demi-siècle pour répondre aux défis de la croissance démographique et urbaine, nous avons besoin d'une agriculture nourricière, variée, efficace, mais aussi d'une agriculture qui soit écologiquement intensive.
Les paysans aujourd'hui sont pleinement conscients de la nécessité de mettre en oeuvre des techniques agricoles qui concilient respect de l'environnement et performance.
La consommation d'engrais a été divisée par dix en dix ans.
Des bandes enherbées longent les cours d'eau.
Après avoir produit beaucoup parce que l'Europe avait faim et dépendait de l'extérieur pour se nourrir, leur préoccupation est aujourd'hui d'identifier, sur tous les territoires, les meilleurs moyens de répondre à la demande tout en préservant l'avenir.
Et leur santé, car eux-mêmes ont payé un lourd tribut au productivisme. Il faut être attentif à leurs efforts et les encourager, au lieu de les mettre en accusation. Pourquoi ? Parce que cette nature que les citadins aiment tant est le produit de sociétés paysannes, qui ont entretenu les chemins, ouvert les espaces inaccessibles, débroussaillé, planté, sélectionné.
Les espaces verts sont d'abord des espaces agricoles. Pas un paysage en France qui n'ait été façonné par des paysans. Livrez la nature à elle-même : vous n'y mettrez plus les pieds ! Ronces, taillis, genêts, orties envahissent tout.
La diversité et la beauté de la France, notre pays les doit à des siècles de tradition agraire.
Il faut désormais réconcilier les citadins et les paysans. Et plus encore les néoruraux et les paysans, car les premiers ne comprennent pas les contraintes des seconds... et, parfois aussi, les seconds manifestent de façon trop perceptible leur hostilité aux premiers !
Mais ce n'est pas tout. Si l'agriculture détient les clés du développement durable, c'est aussi parce qu'elle produit des ressources renouvelables dont les usages sont innombrables, dans tous les domaines. Aujourd'hui, seule une petite quantité du blé sert à faire du pain. Et il existe plus de 1 500 utilisations pour un épi de maïs ! Qu'il s'agisse des emballages, des colles, des carburants, la demande et les débouchés sont infinis pour l'agriculture et permettent de remplacer les énergies fossiles.
Terminons par ce qui préoccupe le plus la communauté internationale : les gaz à effet de serre.
Nous dépensons des sommes considérables pour limiter nos rejets d'oxyde de carbone, lorgnons vers les forêts tropicales comme si elles seules pouvaient sauver la planète.
Sait-on que, dans le calcul de l'empreinte écologique, un champ cultivé séquestre plus de CO2 qu'une forêt ? Et une prairie autant ?
Il ne s'agit évidemment pas de défricher toutes les forêts pour les mettre en culture - leur superficie ne cesse de toute façon de progresser en France. Il s'agit de comprendre que les paysans, dès lors qu'ils mettent en oeuvre des pratiques durables, sont aussi pour nous les meilleurs garants de la lutte contre le changement climatique.
Que se passera-t-il si nous décourageons nos agriculteurs ? S'ils quittent les campagnes les uns après les autres ? Vers quelle société nous acheminons-nous, alors que l'équivalent d'un département de bonnes terres est déjà perdu tous les dix ans par l'extension de l'habitat et des réseaux ? Nous faudra-t-il demain compter sur les Chinois, les Argentins et les Camerounais pour nous nourrir ? Nous devons abandonner notre vision fausse et passéiste d'une nature qui existerait indépendamment de l'homme et faire enfin confiance à ceux qui la connaissent, l'aménagent et en tirent le meilleur.
Pour notre plus grand plaisir : les paysages.
Notre santé : la nourriture.
Mais aussi notre salut : un développement durable aussi soucieux de la planète que de ceux qui l'habitent passe d'abord et avant tout par le respect de nos paysans.
Sylvie Brunel est géographe, ancienne présidente d'Action contre la faim, professeur des universités à Paris-Sorbonne, directrice du master professionnel mondialisation et développement durable.
SOURCE :
http://occitan-touareg.over-blog.com/article-pour-respect-paysans-sylvie-brunel-44869050.html