L’islamophobie explose en France. Selon le rapport du Collectif contre l’islamophobie en France, les agressions physiques ou verbales contre les musulmans ont augmenté de 57 % en 2012 par rapport à l’année précédente. Depuis 2005, leur fréquence a quasiment décuplé. Les atteintes interpersonnelles (agressions verbales ou physiques) ont connu une croissance pharamineuse avec 27 fois plus de cas recensés en 2012 qu’en 2008. Les institutions sont régulièrement la cible d’actes de vandalisme ou de dégradation en nombre croissant : ces actes ont été en 2012 cinq fois plus fréquents qu’en 2007 et ceux visant les mosquées ont été deux fois plus nombreux en 2012 qu’en 2011. L’islamophobie se banalise et touche désormais tous les secteurs de la société : « Nous observons une mutation de l’islamophobie, qui après avoir été longtemps et majoritairement l’œuvre des services publics, s’enracine désormais dans le monde du travail, dans le secteur privé, sous la forme d’atteintes interpersonnelles ou d’agressions. La France est passée d’une islamophobie politique à une islamophobie culturelle, relayée politiquement », note le CCIF dans son rapport annuel. Le rôle joué par les médias dans cette diffusion est déterminant.
La construction médiatique du « problème musulman » (1)
Pour l’opinion, les sujets abordés par les médias étant par définition dignes d’intérêt, on comprend qu’un sujet médiatiquement surinvesti acquiert facilement le statut de problème prioritaire. Si les politiques et les médias sont à ce point obsédés par la question de l’Islam, c’est le signe évident que cette religion pose problème. Dans une étude plus large, on notait une relation similaire entre fréquence des articles ou des émissions traitant de la délinquance et variation du sentiment d’insécurité (préoccupation pour la délinquance) (voir ici). Tandis que les lois anti-voiles banalisent la discrimination en la légalisant, les campagnes ou débats publics autour de l’Islam ont pour effet de libérer la parole islamophobe (ceux de l’automne 2009 à propos de l’identité nationale ont été sur ce point exemplaires). Les deux combinés ouvrent la porte à toutes les dérives et ne peuvent qu’encourager les agressions contre la communauté musulmane et ses institutions.
Les machines de guerre islamophobes : laïcité et féminisme
Alors que les victimes des actes islamophobes déclarés sont très majoritairement des femmes, certaines associations féministes combattent ouvertement le port du voile et ont milité activement pour son interdiction, en particulier le collectif Ni Putes Ni Soumises (voir ici). Rappelons que les femmes voilées sont une cible privilégiée de la violence islamophobe, celles-ci représentant plus des 3/4 de l’ensemble des victimes et que cette violence est souvent une violence d’État, au moins un fonctionnaire étant mis en cause dans plus de 40 % des cas recensés. Dans deux cas sur trois, il s’agit d’un fonctionnaire de l’Education nationale, dans un cas sur sept, d’un fonctionnaire de police. Mais cette contradiction manifeste ne semble pas beaucoup gêner l’association Ni Putes Ni Soumises toujours prompte à stigmatiser le sexisme des jeunes maghrébins et à combattre le port du voile dans des campagnes à forts relents néocoloniaux.
L’idéologie islamophobe au service de la classe dominante
Face au désarroi provoqué par les politiques d’austérité, le musulman est appelé à jouer le rôle de bouc émissaire, et il excelle d’autant plus dans ce rôle qu’il en cumule toutes les qualités : sans soutien, visible et socialement dominé. La stigmatisation dont il est l’objet semble être sans limites. L’islamophobie se diffuse dans tous les espaces sociaux : les femmes voilées sont exclues d’un nombre croissant de lieux du fait de l’empilement des lois votées depuis 10 ans (voir ici, sans même parler de celles à venir (voir ici, la discrimination à l’égard des musulmans s’amplifie et ceux-ci se voient de plus en plus fréquemment privés d’accès à certains services comme ceux proposés dans les auto-écoles, les salles de sport, les centres de bronzage ou de beauté, les restaurants, les centres de formation professionnelle,… en raison des signes de leur appartenance religieuse.
Nouvelle idéologie dominante, l’islamophobie se banalise non seulement dans les actes et mais aussi dans les esprits : d’après une récente enquête, les Français soutiennent très largement (à 87 %) la crèche Baby Loup dans son différend avec une salariée musulmane voilée qu’elle a licenciée et se déclarent favorables (à 84 %) à une loi interdisant les signes religieux ou politiques dans les entreprises privées. Droite et gauche confondues, le consensus islamophobe est aujourd’hui quasi-total (voir ici.
L’islamophobie fait le lit du fascisme
Aux mêmes causes, les mêmes effets. Le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie, mais son évolution par temps de crise, écrivait Bertolt Brecht. L’exclusion progressive des musulmans de la société française, comme d’ailleurs des autre sociétés européennes également touchées par les politiques d’austérité, ne peut que contribuer à lui donner raison.
(1) J’emprunte cette expression à Marwan Mohamed dont on lira avec profit le dernier ouvrage : « Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le problème musulman » (avec Abdellali Hajjat), Éditions La Découverte.
Nicolas Bourgoin est démographe, maître de conférences à l’université de Franche-Comté, membre du Laboratoire de sociologie et d’anthropologie de l’université de Franche-Comté (LASA-UFC). Dernier ouvrage paru : La Révolution sécuritaire, Éditions Champ social, 2013.
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