L’art de la guerre »
Contre-offensive russe sur le front oriental
par Manlio Dinucci
La tentative états-unienne d’isoler économiquement la Russie pour l’empêcher de secourir la population ukrainienne a eu l’effet contraire de celui escompté : elle pousse Moscou dans les bras de Pékin. De sorte, qu’à long terme, le bloc est-européen-asiatique qui est en train de se consolider dépassera la puissance des occidentaux.
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- Tout est prêt à Shanghai pour recevoir le 4ème sommet de la Cica.
Pendant que l’OTAN convoque demain à Bruxelles ses 28 ministres de la Défense pour potentialiser ses forces dans une fonction anti-russe, en intensifiant aussi l’entraînement de militaires et paramilitaires de Kiev (y compris les bandes armées qui ont tenté d’assassiner le secrétaire du Parti communiste ukrainien), et que l’Union européenne prend de nouvelles sanctions contre la Russie, la réponse vient non pas de Moscou, mais de la lointaine Pékin.
Le président Poutine commence aujourd’hui sa visite officielle en Chine, durant laquelle sera signée une trentaine d’accords bilatéraux, dont le premier effet sera celui de rendre vain le plan de Washington visant à « isoler la Russie de Poutine en coupant ses liens économiques et politiques avec le monde extérieur ».
La portée des accords est stratégique. Un contrat d’une valeur de 270 milliards de dollars entre la compagnie publique russe Rosneft et la China’s National Petroleum Company prévoit que la Russie fournira à la Chine dans les 25 prochaines années plus de 700 millions de tonnes de pétrole. Un autre contrat prévoit que la compagnie publique russe Gazprom fournira à la Chine, d’ici 2018, 38 milliards de m3 de gaz par an, c’est-à-dire environ un quart de celui qu’elle fournit aujourd’hui à l’Europe. Se servant aussi d’investissements chinois prévus pour 20 milliards de dollars, Moscou projette de potentialiser l’oléoduc entre la Sibérie orientale et le Pacifique, en le flanquant d’un gazoduc de 4 000 km pour approvisionner la Chine. Pékin est intéressé pour effectuer des investissements en Crimée aussi, en particulier pour la production et l’exportation de gaz naturel liquéfié, pour la modernisation de l’agriculture et la construction d’un terminal céréalier. En même temps Moscou et Pékin sont en train de penser à abandonner le dollar comme monnaie pour les échanges dans la région asiatique. Et la Russie est en train de projeter son propre système de paiements, sur le modèle du chinois Union Pay, dont les cartes de crédit peuvent être utilisées dans plus de 140 pays, se plaçant au second rang mondial après les Visa.
La coopération russo-chinoise ne se limite pas au domaine économique. Les présidents Xi Jinping et Vladimir Poutine, d’après des sources diplomatiques, feront une « déclaration substantielle » sur la situation internationale. La convergence d’intérêts stratégiques sera exemplifiée par la manœuvre conjointe que les marines des deux pays effectueront en mer de Chine méridionale, justement après que s’est déroulée aux Philippines une grosse manœuvre aéronavale étasunienne. Et un accord militaire est pratiquement conclu : dans le cadre de cet accord, Moscou fournira à Pékin des chasseurs multi-rôles Soukhoï Su-35, des sous-marins de classe Lada et les systèmes de défense missilistique les plus avancés, S-400.
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- La Conférence sur les mesures d’interaction et de renforcement de la confiance en Asie (Cica) a été fondée à l’initiative du Kazakhstan, en 2006, et dispose de son secrétariat permanent à Almaty. La présidence tournante sera remise par la Turquie à la Chine à l’ouverture du prochain sommet de Shanghai, les 21 et 22 mai 2014.
Pour souligner la convergence d’intérêts entre Moscou et Pékin, Poutine intervient à la Conférence sur les mesures d’interaction et de renforcement de la confiance en Asie (Cica) qui, présidée par Xi Jinping, se tient à Shanghai les 21 et 22 mai prochains, avec la participation notamment du Premier ministre irakien Nouri al-Maliki, du président afghan Hamid Karzai et de l’iranien Hassan Rouhani. Une claque aux États-Unis qui, après avoir dépensé dans les guerres en Irak et Afghanistan 6 000 milliards de dollars, voient maintenant la Chine de plus en plus présente économiquement dans ces pays. En Irak, elle achète environ la moitié du brut produit et effectue de gros investissements dans l’industrie pétrolifère ; en Afghanistan, elle investit surtout dans le secteur minier, après que des géologues du Pentagone ont découvert de riches gisements de lithium, cobalt, or et autres métaux. Et, ouvrant à l’Iran des débouchés à l’est, Russie et Chine rendent de fait vain l’embargo effectué par les USA et l’UE.
Les choses ne vont pas mieux pour Washington sur le front occidental. La possibilité, exposée par l’administration Obama, de réduire de plus de 25 % en une décennie les fournitures de gaz russe à l’Europe pour les remplacer par du gaz naturel liquéfié fourni par les États-Unis, est en train de se révéler être du bluff. Ce que confirme le fait que, malgré les sanctions annoncées par Berlin, des sociétés allemandes continuent à investir dans l’industrie énergétique russe : la Rma Pipeline Equipment, productrice de valves d’oléoducs et gazoducs, est en train d’ouvrir son plus gros site dans la région de la Volga. Et Gazprom a déjà signé tous les contrats, dont un de 2 milliards d’euros avec la firme italienne Saipem (Eni), pour la réalisation du gazoduc South Stream qui, contournant l’Ukraine, apportera le gaz russe à travers la mer Noire jusqu’en Bulgarie et, de là, dans l’UE. Même si les États-Unis arrivaient à bloquer le South Stream, la Russie pourrait dérouter le gaz jusqu’à la Chine.
Le « East Stream » est désormais ouvert.
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Le monde change. Jadis, il y avait une droite capitaliste et une gauche socialiste. Aujourd’hui, le monde est dominé par les États-Unis et la première question qui se pose est de les servir ou de leur résister. Comme lors de la Seconde Guerre mondiale, on trouve toutes les idéologies dans chaque camp. Pour l’heure Washington coordonne l’alliance en Europe entre nazis et jihadistes avec la bénédiction des Russes anti-Poutine.
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- Le 8 mai 2007, à Ternopol (ouest de l’Ukraine), des groupuscules nazis et islamistes créent un prétendu Front anti-impérialiste afin de lutter contre la Russie. Des organisations de Lituanie, de Pologne, d’Ukraine et de Russie y participent, dont les séparatistes islamistes de Crimée, d’Adyguée, du Dagestan, d’Ingouchie, du Kabardino-Balkarie, du Karatchaïévo-Tcherkessie, d’Ossétie, de Tchétchénie. Ne pouvant s’y rendre du fait des sanctions internationales, Dokka Umarov, y fait lire sa contribution. Le Front est présidé par Dmytro Yarosh, qui deviendra lors du coup d’État de Kiev, en février 2014, secrétaire adjoint du Conseil de sécurité nationale d’Ukraine.
L’affrontement entre les putschistes de Kiev, soutenus par l’Otan, et les fédéralistes ukrainiens, soutenus par la Russie, est arrivé à un point de non-retour. Le 2 mai, le président Olexander Turchinov et l’oligarque israélien Ihor Kolomoïsky ont organisé un massacre à la Maison des syndicats d’Odessa que la presse occidentale a d’abord minimisé, puis qu’elle a tu lorsque les témoignages et les preuves se sont accumulés [1]. Après ces horreurs, il n’est plus possible aux deux populations de continuer à vivre ensemble.
Trois scénarios sont envisageables : soit les États-Unis vont faire de l’Ukraine une nouvelle Yougoslavie et y provoquer une guerre dans l’espoir d’y impliquer la Russie et l’Union européenne et de les y embourber ; soit ils vont multiplier les théâtres d’affrontement autour de la Russie, en commençant par la Géorgie ; soit encore, ils vont pousser des combattants non-étatiques à déstabiliser la Russie elle-même, en Crimée ou au Daguestan.
Quelle que soit l’option choisie, Washington met d’ores et déjà en place une armée de mercenaires.
Le Conseil de Défense de Kiev a dépêché des émissaires en Europe occidentale pour engager des militants d’extrême droite à venir se battre contre les fédéralistes (qualifiés de « pro-Russes »). Ainsi, a déjà été créée une cellule Pravy Sektor France dont les membres seront prochainement intégrés à la Garde nationale ukrainienne.
Par ailleurs, le Conseil de Défense de Kiev entend « faire nombre » en ajoutant à ces néo-nazis ouest-européens des jihadistes ayant déjà une véritable expérience militaire.
En réalité, si l’on veut bien faire abstraction du bric-à-brac symbolique des uns des autres, nazis et jihadistes d’aujourd’hui ont en commun à la fois le culte de la violence et le rêve sioniste de domination mondiale. Ils sont donc compatibles avec toutes les autres organisations soutenues par Washington, y compris avec le Front de gauche russe de Serguei Oudaltsov et avec son ami le leader anti-Poutine Alexeï Navalny. Il existe d’ailleurs déjà de nombreux contacts entre eux.
Plutôt que d’appliquer la division droite/gauche de la Guerre froide, la seule ligne de clivage pertinente aujourd’hui est impérialisme/résistance. En Ukraine, les gens de Kiev se référent au combat de la Wehrmacht contre les juifs, les communistes et les Russes, tandis que ceux du Donetsk célèbrent la victoire de la patrie contre le fascisme lors de la « Grande guerre patriotique » (Deuxième Guerre mondiale). Les gens de Kiev définissent leur identité par leur Histoire, réelle ou mythique, tandis que ceux du Donetsk s’affirment comme des personnes issues de communautés historiques différentes mais unies par leur lutte contre l’oppression.
La preuve que cette ligne de partage est la seule pertinente, c’est l’oligarque juif Ihor Kolomoïsky qui finance ceux qui scandent « Mort aux juifs ! ». C’est un mafieux qui a accaparé l’une des plus grosses fortunes d’Europe en s’emparant pistolet au poing de grandes entreprises de la métallurgie, de la finance et de l’énergie. Il est soutenu par les États-Unis et a placé diverses personnalités US —dont le fils du vice-président Biden— dans le conseil d’administration de sa holding gazière [2]. Non seulement, il n’a aucun problème à financer des groupes nazis, mais il jubilait lorsque ceux-ci ont assassiné sur son ordre des juifs anti-sionistes à Odessa.
La collaboration entre nazis et jihadistes n’est pas nouvelle. Elle trouve son origine dans les trois divisions musulmanes de la Waffen SS. La 13ème division « Handschar » était formée de Bosniaques, la 21ème « Skanderbeg » de Kosovars et la 23ème « Kama » de Croates. Tous étaient donc des musulmans pratiquant un islam influencé par la Turquie. À vrai dire, la majorité de ces combattants firent défection au cours de la guerre contre l’Armée rouge.
Plus récemment, nazis et takfiristes se battirent à nouveau ensemble contre les Russes, lors de la création de l’Émirat islamique d’Itchkérie (Seconde guerre de Tchétchénie, 1999-2000).
Le 8 mai 2007, à Ternopol (ouest de l’Ukraine), nazis baltes, polonais, ukrainiens et russes et jihadistes ukrainiens et russes créèrent un prétendu « Front anti-impérialiste » avec l’appui de la CIA. Cette organisation est présidée par Dmytro Yarosh, devenu lors du coup d’État de Kiev, en février 2014, secrétaire adjoint du Conseil de sécurité nationale d’Ukraine, puis candidat de Pravy Sektor à l’élection présidentielle du 25 mai.
En juillet 2013, l’émir du Caucase et responsable local d’Al-Qaïda, Dokou Oumarov, appella les membres du « Front anti-impérialiste » à aller se battre en Syrie. Cependant, il n’existe pas de documentation claire de la participation de nazis aux opérations actuelles de déstabilisation du Levant.
Enfin quelques dizaines de jihadistes tatars de Crimée sont venus se battre en Syrie, puis ont été transportés par le MIT turc à Kiev pour participer aux événements d’EuroMaidan et au coup d’État du 22 février aux côtés de Dmytro Yarosh [3].
Les mesures prises en Europe, à la demande du secrétaire US à la Sécurité de la Patrie Jeh Johnson, pour empêcher le retour des jihadistes chez eux montre que la CIA entend les utiliser sur un nouveau front [4]. La démission forcée du prince Bandar bin Sultan, le 15 avril à la demande du secrétaire d’État John Kerry [5], puis celle de son frère, le prince Salman bin Sultan, le 14 mai sur pression du secrétaire à la Défense Chuck Hagel [6], attestent de la volonté états-unienne de refondre le dispositif jihadiste.
Les Résistants européens et arabes sauront-ils s’allier eux aussi ?
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