La Une des Échos du mercredi 1er septembre résume de façon assez saisissante la situation économique des entreprises françaises ainsi que les rapports de force entre puissance privée et ce qu’il faut bien appeler désormais «
impuissance publique
». Décryptage…
Les profits du CAC 40 ont presque doublé
L’année 2009 n’avait pas été désastreuse pour les stars du CAC 40, loin de là. Pour s’en convaincre, il suffit de lire le document Profil financier du CAC
40 publié par Ricol Lasteyrie, société spécialisée dans l’expertise financière et le conseil en investissement, que l’on ne peut guère suspecter de sympathies pro-NPA ou altermondialistes… Que nous dit ce rapport, et notamment ses conclusions
?
« Des États surendettés, des entreprises désendettées. » Le détail est fourni quelques pages plus loin : «
31
milliards d’euros avaient été injectés à fin janvier
2010 dans l’économie dans le cadre du plan de relance (auxquels s’ajoutent 6,3
milliards d’euros de prêts consentis à la filière automobile en
2009). Ces mesures ne concernent pas uniquement les entreprises du CAC
40 mais ces dernières en ont profité comme elles ont profité des plans de relance décidés par les autres pays où elles sont implantées.
Les entreprises ont amélioré leur BFR (c’est-à-dire, schématiquement, leurs réserves de «
cash
»), soit de façon volontaire par une politique plus rigoureuse de gestion de leurs stocks et de leurs créances clients, soit sous l’effet de la baisse du chiffre d’affaires.
Le soutien massif des États à l’économie a permis d’éviter le pire. Cela se traduit par une forte dégradation des comptes publics. Le déficit public de la France a atteint 7,9
% du PIB en
2009, soit un niveau record de 138
milliards d’euros. »
Par comparaison, rappelons que les 40
entreprises composant l’indice CAC ont réalisé un bénéfice net de 46
milliards d’euros en
2009…
Et en 2010
?
Tout va très bien pour les stars du CAC
40
: 42
milliards d’euros de bénéfices au premier semestre, soit un quasi-doublement des profits par rapport à
2009. De son côté, le déficit public – celui qui pèse sur nos épaules en tant que citoyens – ne devrait guère s’améliorer, loin de là
: 115 à 130
milliards prévus en
2010.
Ce doublement des profits
profite-t-il à la France et aux Français
?
C’est là que le bât blesse… On s’aperçoit en effet que cette hausse des profits est due à une compression des coûts
: en d’autres termes, les TGE (très grandes entreprises) ont pressuré leurs fournisseurs (des PME qui, elles, sont souvent exsangues et au bout du rouleau), continué à délocaliser dans les pays à bas salaires et, en France, multiplié les CDD, intérim et autres contrats précaires.
Contrairement à ce qui est souvent affirmé, hausse des profits des sociétés du CAC
40 ne signifie pas amélioration de la situation de l’emploi en France, au contraire
: une usine qui ferme en France pour s’installer dans un pays à bas salaires, c’est avant tout plus de bénéfices pour l’entreprise concernée et, globalement, un transfert de richesse supplémentaire du «
travail
» vers le «
capital
».
Mais alors, comment va s’employer
cet argent
?
Essentiellement de deux façons
: d’une part des versements de dividendes (probablement une cinquantaine de milliards en
2010 pour les entreprises du CAC
40), d’autre part des rachats, fusions et acquisitions, bref du mécano financier qui va permettre à ces sociétés d’augmenter de taille. On assiste donc à un mouvement continu de concentration de la plus-value dégagée par les entreprises, celle-ci n’étant plus redistribuée aux ménages ou aux États mais restant confinée «
en haut du système
», dans un nombre de mains de plus en plus réduit, pour des montants de plus en plus faramineux.
Le «
made in France
» recule dans presque toutes les filières industrielles
«
Les produits assemblés dans l’Hexagone contiennent de moins en moins de composants français
: 69
% en
2009 contre 75
% en
1999
»… ou l’histoire d’un déclin structurel dû à des délocalisations constantes et à l’absence de protectionnisme au niveau européen. Richesse des stars du CAC
40, misère des salariés français qui voient leur pays se désindustrialiser et leurs emplois filer en Chine ou au Vietnam…
Ce déclin industriel de la France est bien sûr la conséquence logique de l’autre article de Une
: pour doubler leurs profits en réduisant au maximum leurs coûts, les entreprises du CAC
40 ont fait «
crever
» nombre de PME sous-traitantes avant d’aller chercher de nouveaux sous-traitants à l’étranger. C’est une véritable tactique de terre brûlée à l’échelle planétaire qui ne profite en aucune façon aux individus ou à la collectivité (c’est-à-dire aux États) mais uniquement à une minorité qu’il n’est pas excessif de qualifier de prédatrice.
Impôts
: l’avertissement de Parisot au gouvernement
Cerise sur le gâteau, pour peu que l’on lise entre les lignes
: dans le contexte que nous venons de décrire, la présidente du MEDEF menace d’accélérer les licenciements si les prélèvements sociaux remontent. De plus - et cette déclaration est extrêmement intéressante en ce qui concerne l’évolution des rapports de forces - elle explique comment l’État doit s’y prendre pour retrouver l’équilibre des comptes et surtout fixe le cap des «
réformes
»
: «
Pour réduire les dépenses, il faut continuer les réformes structurelles. Nous sommes au milieu du gué pour celle des retraites. Il faudra ensuite lancer très vite celle de l’assurance maladie.
»
Langage de Premier ministre, de détenteur du véritable pouvoir qui dicte ses conditions et sa feuille de route à un État affaibli. L’appétit du lobby de la bancassurance est véritablement impressionnant
! Alors que la «
réforme
» des retraites (qui vise, entre autres, à accélérer la mise en place d’un système de retraite par capitalisation dont la bancassurance sera le premier bénéficiaire) n’est pas encore engagée au plan législatif, Laurence Parisot prépare déjà le coup suivant
: la privatisation du système de santé «
rentable
», l’État prenant en charge les pauvres et les indigents…
Pour conclure…
Dans une déclaration restée célèbre, de Gaulle avait affirmé que «
la politique de la France ne se fait pas à la corbeille
», montrant le peu de cas qu’il faisait des manœuvres et gesticulations boursières.
Cette attitude où prévalait la recherche de l’intérêt de la France et des Français n’est plus de mise aujourd’hui
: la grande ambition de Sarkozy est de «
sauver le capitalisme
» (voir Ad majorem pecuniae gloriam) et son agenda politique est tracé lors de l’Université d’été du Medef.
En l’absence de politique étatique digne de ce nom, il ne reste que des individus, des «
atomes
» isolés. Ont-ils la capacité collective de réagir
? Ce sera le thème d’un prochain billet.
Lundi
© La Lettre du Lundi 2010
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