Bougez avec La Poste : vers une privatisation à la Finlandaise ?

Dany Boon et son sketch ont probablement fait le tour du monde. Ou tout au moins de la France. Parce que toutes ses blagues, même les plus exagérées, reflètent bien la manière de fonctionner de La Poste. Cinq guichets et un seul ouvert, de 9 heures à midi, le mardi et les vendredis impairs. Des grèves pour un oui ou pour un non. Des recommandés qui n’arrivent pas ; des cartes postales de plus en plus longues à parvenir à leur destinataire. Une amabilité qui laisse souvent à désirer.
Comme tous les services publics, La Poste a de nombreux défauts. Et elle présente l’avantage conséquent de nous servir de "défouloir" quand la journée au boulot a été horrible. Plutôt que de s’en prendre à sa femme, on ouvre la boîte aux lettres, et on râle : Perkele ! Il a encore déchiré la page Sports !
Oui, mais voilà. Maintenant qu’on parle de privatisation, les discours changent. De plus en plus, on entend les Français faire l’éloge de ces (jusqu’à présent) « fainéants de fonctionnaires ».On sourit au facteur, même quand il est de mauvais poil. On hausse moins les sourcils en recevant un avis de retour de courrier « N’habite plus à l’adresse indiquée » (parce que vous avez écrit le numéro de l’adresse trois mm trop haut, que la machine n’as pas su le lire, et que le postier en charge de la vérification a eu la flemme de faire son boulot). La France a peur de voir son petit peuple bleu et jaune remplacé par des salariés aux couleurs multiples, suivant l’entreprise privée à laquelle ils appartiendront.

A-t-on raison de freiner des quatre fers face à cette tentative de privatisation, si chère à l’Etat ?
N’en déplaise à la Commission européenne, et tous les acteurs européens qui se battent pour ouvrir tous les secteurs publics à la concurrence, la privatisation d’un service comme la Poste est une grosse bêtise.
L’UE, dans son traité instituant le Marché commun, protège « le régime de la propriété dans les Etats membres » (art 295CE). En clair, même si l’objectif ultime de l’UE est de dénationaliser tous les services publics, il ne s’agit pas de forcer trop brutalement la main aux États membres. Et ceux qui veulent conserver le monopole national dans certains domaines en ont le droit, quoi qu’en disent nos politiciens.

Le secteur bancaire, les assurances ont été privatisés depuis quelques années, déjà. Avec tout le bonheur que ça peut nous apporter, en fonction de la situation économique et du montant de notre compte épargne. La téléphonie mobile et l’électricité sont désormais soumises à la libre concurrence (même si au niveau du téléphone, tout n’est pas encore bien clair : Bouygues doit multiplier les appels à son ami Sarko pour que celui empêche l’apparition d’un quatrième opérateur. Ce petit nouveau ne baignerait pas dans les combines entre les trois opérateurs de métropole pour s’entendre de manière tout à fait illégale sur les coûts téléphoniques, histoire de faire monter nos factures). Dans de nombreux domaines, l’Etat n’a (officiellement) plus son mot à dire.
Je ressasse tout le temps mon inoubliable année en Finlande, où tout était plus beau, plus vert, plus sain (rude choc en revenant étudier à Lille). Mais il faut être un peu honnête, la Poste, là-bas, c’est du gros n’importe quoi. Et si la Finlande n’avait pas autant développé son aspect « social » et « solidaire », nombreux seraient les fermiers déconnectés du réseau.

En effet, il existe un service plus ou moins général, Posti (le Finnois moderne n’est vraiment pas difficile à comprendre : pour tous les nouveaux mots, on prend de l’anglais ou du français, et on rajoute un i. Bus, bussi ; banque, pankki ; Poste, posti ; blog, blogi ; ordinateur, tietokone). On peut parler d’un certain monopole du courrier postal, même si ce n’est pas 100% exact. Les tarifs du timbre sont les mêmes pour tout le pays, et on peut acheter dans tous les Postitoimistot(bureaux de poste) aussi bien des enveloppes que des barres de réglisse et de chocolat (encore une étrangeté finlandaise : pourquoi avoir transformé un bureau de poste en confiserie ?)
Toujours est-il que Posti ou pas, le facteur ne va certainement pas prendre son vélo, chargé de lettres de plus de vingt grammes, et faire la tournée des mökit (cottages), dans des régions où la densité est de 0.5 hab/km². Les cartes postales, oui. On prend, dans un rayon de 10km, toutes les boîtes aux lettres des maisons, on les met au même endroit, et le facteur distribue le bonjour de Joulupukki et de Tarja Halonen en voyage en Birmanie.

Mais pour n’importe quel colis ne passant pas par la fente de la boîte, adressez-vous à votre supermarché. Si vous habitez le centre de Helsinki, avec un peu de chance, il vous suffira de gagner le K-Market de Kamppi(centre commercial). Sinon, vous prenez votre vélo (il faut du courage) ou le bus pour 30 à 50 minutes de trajet, et vous atterrissez dans la périphérie de la ville, où se situe le supermarché et l’antenne « Posti » (il y a, évidemment, des supermarchés DANS les villes, mais ça serait quand même moins rigolo d’aller chercher son courrier à pied. Je suppose que c’est un moyen supplémentaire de faire faire du sport aux Finlandais : le bus coûte si cher qu’ils sont obligés de prendre leur vélo).
En France, nous avons des bureaux partout. Même dans les hameaux de 5 habitants (et si ce n’est pas le vôtre, c’est donc celui de votre frère, à 5 minutes en vélo). Votre lettre arrivera dans les coins les plus reculés. Le postier apportera systématiquement le colis à votre domicile (à condition, bien sûr, que vous lui ayez acheté le calendrier des Postes à Noël). Aucun frais d’essence ni de patience à débourser. Et si vous êtes absent, il le laissera à votre voisin ou à la gardienne d’immeuble dans les grandes villes.

Les entrepreneurs et l’Etat français font souvent preuve d’une imagination débordante pour nous soutirer quelques piécettes supplémentaires. Avec la privatisation de la Poste, on peut facilement s’imaginer la multiplication de firmes postales sur le territoire. Avec une hausse conséquente du prix du timbre, variant selon les régions, les compagnies. Des difficultés à trouver un responsable en cas de mauvaise livraison de produit : Oui, madame, Rapidolettroest censé distribuer le courrier en Aquitaine, mais votre envoi provient de Lorraine, région gérée par Postaquiche, et nous ne pouvons pas être tenus pour responsables en cas de non réception du colis. Il fallait demander le service + : pour 15 euros supplémentaires, Rapidolettro s’occupe de la liaison entre l’envoyeur et le destinataire !
Une belle gamme de services payants donc. On pourrait aussi penser à la mise en place d’un abonnement pour recevoir son courrier deux ou trois fois par semaine ; des levées bihebdomadaires ; des forfaits « courrier livré à domicile ».
Et ne parlons pas des pauvres fermes du Gers. Quelle entreprise serait assez folle pour aller s’installer à Nogaro et y gérer le service postal ? Deux solutions pour rendre l’investissement rentable : taxer les agriculteurs un maximum (vous reprendrez bien un peu de « souvenir taxe carbone » avec votre courrier ?) ; ou les envoyer chercher leurs lettres dans le chef-lieu, à Auch.
Mon côté « l’UE avant tout » me pousse souvent à rejeter le protectionnisme un brin nationaliste français pour encourager l’approfondissement des différentes politiques européennes en matière d’emploi, d’éducation ou d’environnement. Mais il semble impossible de procéder par étapes, à l’heure actuelle : on passe du rien au tout, du monopole étatique à l’ultra-libéralisation si chère aux Britanniques. Et j’en conclus que certaines choses doivent demeurer nationales, puisque les Etats refusent un service européen. Oui, je rêve d’une poste européenne, où tout serait géré et financé par un unique organisme, avec un tarif commun, des distributions de courrier dans les coins les plus reculés, de la Laponie suédoise à Capri. Mais c’est impossible. Alors restons donc aux racines postales étatiques, pour éviter les inévitables dérives liées à la privatisation, et allez vous prononcer « pour ou contre la privatisation de La Poste ». http://fr.news.yahoo.com/3/20090924/tfr-social-la-poste-consultation-56633fe.html

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