LE PLUS. Jean-Marc Ayrault a été nommé Premier ministre ce mardi. Alain Besson a rédigé en 2004 une biographie très sourcée du président sortant du groupe socialiste à l'Assemblée, intitulée "Jean-Marc Ayrault, une ambition nantaise" (éd. Coiffard) – elle sera rééditée en juin. Proche du maire de Nantes, il explique pourquoi celui-ci fera un très bon Premier ministre aux côtés de François Hollande (qu'il avait interviewé à ce sujet en 2002).
François Hollande et Jean-Marc Ayrault le 19 janvier 2012 à Nantes (P.KOVARIK/AFP)
Journaliste à Nantes, je connais Jean-Marc Ayrault depuis 1990. Sans complaisance, je pense qu’il fera un bon Premier ministre. Certes, il n’a pas été ministre, mais il a largement participé au fonctionnement de l’appareil d’Etat grâce à son mandat de président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale. Avec François Hollande, ils participaient très régulièrement aux petits-déjeuners du mardi à Matignon lorsque Lionel Jospin y était en 1997 et 2002. Il a étudié tous les grands dossiers, il a ainsi une expérience certaine de la chose publique. Réélu deux fois à ce poste, il a une très bonne connaissance de l’Assemblée nationale.
Autoritaire et fédérateur
Parmi ses autres qualités, c’est un enfant d’Epinay, il sait tout du Parti socialiste, il y milite depuis 40 ans. Il a commencé à militer à la gauche du parti. Si l'on examine son parcours sur le long terme, il est d'une parfaite cohérence. Très proche de Jean Poperen pendant une vingtaine d'années, il évolue ensuite vers la social-démocratie.
Aujourd'hui, il préconise "un compromis historique entre l'Etat et le monde du travail", il me l’a affirmé ce dimanche au téléphone. Cette évolution, au sein du PS, est parfaitement cohérente sur la durée.
Jean-Marc Ayrault est tout à fait symbolique de l’histoire du Parti socialiste d’Epinay. Il a les qualités pour être un bon Premier ministre : il a de l’autorité, peut-être un peu trop parfois. Mais cette autorité est tempérée par un sens de la conciliation et un sens fédérateur assez poussé.
À Nantes, il a réussi à faire travailler ensemble des politiques et des responsables économiques qui n’étaient pas forcément destinés à le faire. Fédérateur, il l’est aussi au sein du groupe socialiste à l’Assemblée : on ne dirige pas un groupe aussi compliqué avec ses courants et sous-courants pendant quinze ans sans avoir de l’autorité et le sens du compromis.
François Hollande m’avait accordé un entretien le 24 octobre 2002 lorsque j’ai rédigé une première biographie de Jean-Marc Ayrault. Il est amusant de la relire aujourd’hui. Cet entretien réalisé après la défaite de Lionel Jospin est étonnant d’actualité, François Hollande évoquait ainsi sa parfaite entente avec le maire de Nantes. Ils ne sont pas amis intimes, mais il y a beaucoup de camaraderie entre eux. Ils ont une vision politique commune de longue date : ils sont tous les deux fondamentalement réformistes et sociaux-démocrates.
"Socio-démocrate allemand"
Hollande le qualifiait avec humour de "social-démocrate allemand". Le mot allemand est de l’ordre de l’humour mais traduisait aussi la parfaite connaissance qu’il a de l’Allemagne et du SPD. Il apportera beaucoup à François Hollande parce qu’ils s’entendent parfaitement bien. François Hollande me disait qu’ils avaient eu des divergences d’analyse mais aucun "conflit entre nous" confiait-il. Cela sera utile au président étant donné la présente conjoncture.
Il a une connaissance très poussée de l’Allemagne et il parle parfaitement allemand, l’un de ses camarades de classe m’avait confié qu’il discutait déjà couramment avec ses professeurs en classe de première. Etre germanophile sera très utile, on s’en doute, au cours de ce quinquennat à venir. Enfin, il connaît par cœur le PS comme Hollande, mais celui-ci aura une plus grande distance maintenant qu’il est à l’Elysée. Il sait faire des compromis entre les différentes composantes du parti et entre les différents leaders. Ce sens fédérateur a fait ses preuves à Nantes et sera une force au sommet de l’Etat.
Cela fait vingt ans que les médias, ses proches, les Nantais le disent "ministrable". Dans une carrière politique de 40 ans, cela semble s’inscrire dans une logique politique cohérente, c’est une chose à laquelle il était préparé mais ce n’est pas une obsession. Ce n’est pas chez lui une ambition qu’il a toujours eue. Pendant les années où Jospin était à Matignon il a dû y penser, cela va de soi, mais je crois qu’il a la passion de sa ville, il est membre du bureau national du PS depuis 1981 (congrès de Valence). Sa proximité avec Lionel Jospin et François Hollande, ses 15 années à la présidence du groupe socialiste à l'Assemblée valent, largement, à mes yeux, un ministère.
Pas l'homme des petites phrases
Le maire de Nantes a une réputation de sévérité et d’austérité, ce n’est pas faux. Il distingue bien sa vie privée de son travail politique. Il aime cependant jouer du piano, chanter, danser avec sa femme. Du point de vue de sa personnalité publique, ce n’est pas l’homme des petites phrases, il ne fait pas beaucoup de confidences aux journalistes. Il est dépourvu de toute théâtralité dans ses réactions, mais il était le 6 mai à la Bastille au premier rang, à la gauche de François Hollande. Il a un équilibre psychologique très fort, c’est un homme solide dans sa tête, ce n’est pas l’homme des états d’âme.
Plus jeune conseiller général de France élu à 26 ans, sa carrière n’est pas ordinaire ou "normale". François Mitterrand l’avait alors reçu à son domicile rue de Bièvre et lui avait demandé comment il avait réussi à se faire élire. Six mandats de maire, de nombreux de mandats de député, la présidence du groupe socialiste pendant 15 ans ne font pas de lui à mes yeux un monsieur-tout-le-monde.
Cependant, on ne sait pas de lui qu’il est un bon vivant, il est beaucoup dépeint comme "Ayrault, l’anti-héros", ou "héraut ordinaire pour président normal". François Hollande, m’en parlant, m’a dit que c’était un bosseur qui connaissait ses dossiers, mais il le présente aussi comme un bon vivant, comme quelqu’un sachant rire, lisant des romans de Frédéric Dard par exemple. Surtout, selon Hollande, il ne se vante pas et évoquait rarement ce qu’il faisait dans sa ville. Ce n’est pas l’image que les journalistes parisiens et nantais ont forcément de Jean-Marc Ayrault.
Alain Besson est l'auteur de la biographie "Jean-Marc Ayrault, une ambition nantaise" publiée aux éditions Coiffard.
Propos recueillis par Mélissa Bounoua
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/551337-jean-marc-ayrault-premier-ministre-ce-que-j-ai-appris-en-redigeant-sa-biographie.html#xtor=EPR-126-[NLPresid2012]-20120522
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