Chantal Dupille lance l'opération " Noël des sdf ",
à relayer pour donner des idées !
Mes ami(e)s,
bientôt Noël ! Pas pour tous... et dans ce nouvel ordre mondial si égoïste et inégalitaire, il y en a de plus malheureux que les autres ; ne les oublions pas ! Et ils peuvent être source de nos plus grandes joies ! "Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir...".
Or donc, à Noël soit je servais la soupe aux clochards sur une péniche à Pars avec par exemple un Secours Populaire, soit je co-organisais un repas de Noël pour les sdf, vous savez, les sans toit si chers à l'Abbé Pierre... et puis j'ai toujours eu mon sans domicile attitré, auquel je fournissais sourire, vêtements, nourriture ou même de quoi lire.
Mais ma plus belle expérience, que j'ai même une fois partagée avec mes enfants pour leur plus grande joie (j'habitais alors Strasbourg), c'était de confectionner des paquets cadeaux avec aussi bien chaussettes chaudes que friandises ou oranges, et de les porter le soir de Noël à tous ceux qui souffrent de voir les autres faire bombance, ou de voir les vitrines pleines sans jamais rien pour eux. Oui ceux que le monde ne veut pas voir cachent leur misère encore un peu plus les soirs de fête (1)... car ils ont mal, très mal.
Autour de la cathédrale de Strasbourg, quand les cloches sonnent à toute volée, les clochards, les miséreux, les abandonnés se recroquevillent derrière une porte, dans un coin, dans un recoin, dans une fente moins inhospitalière, plus protégée du froid... et ils essaient de dormir le plus vite possible. Alors réveillez-les pour leur offrir un paquet cadeau plein de bonnes choses, et vous aurez une joie que vous n'oublierez jamais ! Quoi, on ne les oublie pas, ils existent ? La fête sera partagée, avec d'un côté les larmes de reconnaissance, et de l'autre une joie indescriptible qu'aucune bombance, avec caviar et champagne, ne pourra donner. Essayez, sortez de votre cocon, improvisez le partage, et alors ce sera le plus beau Noël de votre vie ! Alors oui, tous, toutes, allez-y comme moi, même en famille, pour troquer l'esprit de compétition contre celui de partage, réellement fraternel...
Fraternel ? Au fait, n'est-ce pas là la fraternité réellement républicaine, en actes ?
Chantal Dupille dite eva R-sistons
(1) On trouve des chaussettes, des écharpes, des vêtements chauds etc à 1€ dans les vide-greniers, ou dans des Organismes de bienfaisance
Voici un extrait de mon autobiographie
"Arlequine" (ma Cour des Miracles).
Ce soir, je sers la soupe aux clochards. Comme tous les bénévoles. Comme tous ceux que la misère ne laisse pas indifférents.
Il est dix-sept heures. Les uns debout, les mains dans les poches, les autres assis, le dos rivé au mur, les sans-domicile de la capitale attendent l'ouverture du centre d'accueil La Mie de Pain, situé 54 rue de Bobillot ; la queue ne cesse de s'allonger. Bientôt les portes blindéesvont engloutir la horde des traîne patins et des ventres creux.
On assiste à de mystérieux conciliabules :
– T'as pas une vieille paire de chaussette en rab, par hasard ? J'ai des tickets de métro, ça te servira pour pioncer au chaud dans la journée.
– Non. Tout ce que je peux te donner, c'est un vieux mouchoir que j'ai trouvé hier sur le trottoir.
– T'as pas des mégots, au moins ?
– Ça, oui. Tiens. Envoie les tickets.
La porte s'ouvre, laisse passer le gardien, un ancien clochard.
– Entrez. Pas tous ensemble.
– Poussez pas, derrière. Y a du roulis, ce soir !
– Toi, là-bas, tu rêves ou quoi ? Tu penses tout de même pas qu'on va t'héberger avec ton clebs ? Ici, c'est pas un chenil. Bon vent ! Et toi, le Marseillais, tu as de l'embonpoint, ce soir. Montre voir.
– Je montre rien du tout.
– Montre voir, que je te dis, ou je te fous dehors. Tiens, qu'est-ce que je sens ? Ah ça, par exemple ! C'est ta nouvelle cachette ? L'autre jour, une bouteille dans chaque jambe de pantalon, aujourd'hui tu remets ça avec ta sacrée ficelle ! Tu crois donc qu'une bedaine comme la tienne, ça se remarque pas ? Donne tes bouteilles de vin, je te les rendrai plus tard. C'est le règlement ! Après, vous vous les lancez à la tête. Avance. Toi, laisse ta poussette à l'entrée ; tu la récupéreras demain. Et puis, cesse de te gratter comme ça !
La longue cohorte des pauvres diables pénètre dans le réfectoire. Il y en a de tous les âges, de toutes les nationalités. Certains sont correctement vêtus, d'autres respirent la misère.
– Bonjour, Chantal. Ça fait plaisir de te revoir, toi et ton sourire !
Un clochard débonnaire me serre la main. Il m'a reconnue.
– Bonjour Monsieur. Comment allez-vous ?
Je donne une cuiller et une gamelle bien chaude à la main qui se tend. Un petit salut discret, et le clochard s'éloigne.
– Tiens, il y a de la soupe au poulet, ce soir !
– Pourquoi vous dites ça ? Nous n'avons que de la soupe de légumes à vous proposer.
– Je le dis parce que mon voisin porte un imper mastic. Vous ne savez donc pas qu'on envoie des agents en civil
à la Mie de Pain ?
– Je l'ignorais.
Le défilé de la misère continue, morne et lent. Chaque soir de l'hiver, quatre cents à huit cents personnes trouvent à la Mie de Pain de la soupe à volonté ainsi qu'un gîte chauffé où, sans avoir à révéler le secret de leur infortune, ils peuvent dormir.
– J'ai apporté une boite de conserves, dit un vagabond filiforme. Est-ce qu'on peut me l'ouvrir ? Tiens, mais voilà le mort...
– Le mort ?
– Oui, répond un clochard barbu et chevelu comme un patriarche. Je suis un mort qui se porte bien. Tu veux voir mon extrait de décès, mignonne ? Je l'ai eu grâce à un copain. Légalement, je suis mort. Comme ça, j'ai la paix.
Le silence retombe. La misère est la même pour tous. Que confier à son voisin qu'il ne sache déjà ?
– Encore un peu de soupe, Monsieur ? Il y a pas mal de rab, ce soir.
Soudain, un homme décharné pénètre dans le réfectoire ; ceux qui viennent quêter un deuxième bol de potage s'écartent afin de lui livrer passage ; l'entraide et la solidarité ne sont pas un vain mot dans la cloche. Le nouvel arrivant semble hors de lui ; il hurle sa colère avec des gestes de pantin désarticulé :
– Je viens de Clairvaux, j'ai dix-huit années de tôle derrière moi pour le meurtre de ma femme qui m'a plaqué ; c'est cher payé. On m'a fait cadeau de deux ans pour bonne conduite, c'est tout. La prison, vous savez ce que c'est ? Un univers terrible. On vous fout avec des pédés. J'ai connu Bontemps avant de passer trois mois dans une cave noire avec pour seuls aliments de l'eau et du pain. A la sortie, on m'a interdit de séjour. A l'Agence Nationale pour l'Emploi, on nous catalogue comme sans domicile. Je croyais avoir payé ma dette en sortant de prison ; je découvre aujourd'hui qu'on m'a condamné à vie ! Alors, demain je vais commettre un acte désespéré pour signaler mon cas. N'importe quoi. Un cambriolage avec effraction ou assassiner un type. Je passerai devant un tribunal et je pourrai attirer l'attention sur les libérés de prison qui, comme moi, ne trouvent pas de travail.
Cinq cents paires d'yeux las fixent l'homme qui clame sa détresse au milieu du réfectoire. Que peut-on faire ? Je m'assieds à côté de lui pour tenter d'apaiser sa juste colère.
– Commettre un crime ne résoudra rien, Monsieur. Le temps travaille pour vous et bientôt, j'espère, la loi adoucira votre sort. En attendant, pourquoi ne pas faire comme William Borst, un ancien clochard réinséré après avoir apposé sous les essuie-glaces des véhicules en stationnement une centaine de S.O.S. dans lesquels il narrait sa vie tragique et sollicitait un emploi ?
– C'est curieux, jamais personne ne m'a parlé comme vous.
Un jeune homme se met à pleurer. Alors le libéré de prison, oubliant sa propre colère, serre dans ses bras son voisin de table et lui murmure :
– Non, mon frère, pas ça ! Je croyais être le plus malheureux et je m'aperçois que ce n'est pas vrai. Tu as la jeunesse pour toi, au moins. Tu as la vie devant toi. Sèche tes larmes. Raconte-nous ton histoire et calme-toi. On va essayer de t'aider.
Il existe chez les plus déshérités une perméabilité à la souffrance, une générosité que l'on trouve rarement ailleurs. En toutes circonstances, les enfants de l'adversité se sentent solidaires les uns des autres. Non seulement ils partagent leurs derniers sous avec un frère de misère, mais les poches les plus trouées ont des ressources inespérées lorsqu'on organise une collecte pour le colis d'un ami en prison ou quand il s'agit de fleurir la tombe de celui qui a eu la chance d'échapper au bistouri des carabins ou à la fosse commune.
Je voudrais échanger d'autres mots avec le libéré de prison et son voisin ; je voudrais que jamais ne cesse un dialogue dont les deux hommes ont tant besoin pour reprendre un peu espoir. Mais déjà la porte du dortoir aspire leur commune solitude.
Là-haut, trois cents hamacs répartis sur deux rangées sont mis à la disposition des sans-logis ; ceux qui ne peuvent y trouver place couchent par terre. Les premiers arrivés choisissent les hamacs du haut, au risque de se rompre le cou s'ils ont trop bu. En guise de traversin, les hébergés utilisent des journaux, la musette ou des souliers. La promiscuité révèle l'incommensurable détresse des exclus de la société : les odeurs de vin mal cuvé se combinent avec la sueur rance et les haleines chargées ; toutes les cinq minutes, un pensionnaire se lève afin de satisfaire un besoin pressant, quand il ne se soulage pas sous lui ; au milieu d'un concert de gargouillements, de rots, de toux en cascade, de râles, de ronflements, de soupirs sonores, de soliloques, d'imprécations et d'injures, bienheureux celui qui trouve un sommeil réparateur ! Seuls les plus endurcis parviennent à s'endormir vers minuit. Les autres restent aux prises avec les effluves et les rumeurs innombrables, pour ne pas dire avec les poux, les puces, les punaises.
Pendant ce temps, un clochard repose paisiblement à l'entrée de la Mie de Pain ; il a choisi de coucher dans une poubelle de chaufferie qu'il a soigneusement recouverte de bouts de carton. Ce clochard solitaire et presque heureux, c'est Marcel, un ancien professeur de Lettres qui, chaque soir avant de s'endormir, lit Homère, confortablement installé sur son trône de scories.
Bien que la ville ne soit pas encore sortie de sa torpeur, les hôtes de la Mie de Pain, abrutis de fatigue et de misère, se répandent un peu partout. Mais, invisible et pourtant peut-être plus réelle que jamais, l'armée des va-nu-pieds se terre le jour, ne laissant apercevoir, ça et là, sur un banc, devant un pan de mur lézardé, à l'entrée d'une station de métro ou aux abords d'un marché, que des isolés, des francs-tireurs, véritables fantômes attardés chez les vivants et bientôt balayés par le flot populaire ou la mort.